L’ACEN est fermement opposée au projet de création d’une ligne très haute tension entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent par RTE

Dans le cadre de la concertation publique, voici la contribution que Maître Corinne Lepage a rédigée au nom et pour le compte de l’ACEN

RTE prévoit, à l’horizon 2028, la création d’une ligne électrique de 400 000 volts aérienne à deux circuits entre Fos-sur-Mer (13) et Jonquières-saint-Vincent (30), afin de répondre aux besoins de la région PACA, justifiés par :

  • la décarbonation de la zone
  • industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer ;
  • l’installation de projets liés à la transition énergétique ;
  • l’émergence de projets sur le territoire tels que le développement des datacenters ou le raccordement des navires à quai ;
  • l’électrification des usages pour les particuliers comme le développement de pompes à chaleur ou les véhicules électriques.

 

C’est dans ce contexte qu’un projet a été imaginé par RTE, et soumis à concertation du 12 février 2024 au 7 avril prochain.

https://www.rte-france.com/projets/nos-projets/creation-ligne-fos-jonquieres

En préambule, le projet de ligne THT proposé par RTE est présenté par le Préfet lui-même comme étant « le principal moyen » pour atteindre, au plan régional, les objectifs de la France en matière de réduction d’émission des gaz à effet de serre ». Une affirmation qui ne peut qu’interpeller, quand on sait qu’en parallèle, un projet de contournement autoroutier d’Arles est sur la table depuis près de 30 ans, ce que le Préfet sait parfaitement, et que ce contournement sera destructeur de zones naturelles et générateur de gaz à effet de serre.

Il y a donc ici un contexte qui décrédibilise la justification donnée quant à la nécessité du projet de ligne THT entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent.

Autre problème de crédibilité pour le projet : le département du Gard, concerné par une partie de la ligne THT et largement impacté par ce projet, ne bénéficiera pas de l’électricité produite puisque RTE indique dans son dossier de concertation que le projet est justifié par les besoins de la région PACA. Il y a donc là une absence totale d’utilité publique pour le département du Gard qui ne subira que les externalités négatives du projet.

Par ailleurs, et comme si le principe d’installation d’une ligne THT était déjà acté, le Préfet poursuit en indiquant que la concertation lancée a pour but « d’identifier la zone qui sera la plus appropriée pour le passage de cet ouvrage sur le territoire, compte tenu des enjeux multiples que nous devons prendre en considération dans les deux départements concernés, le Gard et les Bouches-du-Rhône : l’environnement, le patrimoine, l’agriculture, les zones urbaines, le tourisme, les paysages, etc. ».

Mais avant même d’identifier une zone d’installation, encore faut-il s’interroger sur le principe même de l’installation d’un tel ouvrage en pleine Camargue. Et comme indiqué plus avant, l’absence d’utilité du projet pour le département du Gard (et la région Occitanie) largement impacté interpelle au plus haut point.

Enfin, il ressort du dossier soumis à concertation que différentes pistes de lieux d’installation ont été étudiées. Pour autant, sur la possibilité de remplacement de la ligne à double circuit 400 000 volts Tavel – Réaltor – Ponteau – Feuillane par une ligne quadruple circuit, les justifications sont plus que brèves concernant le rejet de cette solution.

En effet, il est uniquement indiqué que « cette structure fragilise de manière inacceptable le système électrique français et européen. En effet, en cas de perte simultanée des 4 lignes (par exemple l’incendie de l’été 2022 qui a conduit à couper les 2 lignes de cet axe, ou encore des travaux qui nécessiteraient leur mise hors service, des actes de malveillance, etc.), les risques de coupure d’alimentation de PACA, avec un risque « d’effet domino » pouvant s’étendre au niveau européen, est trop important ». Mais il n’y a pas davantage d’explications quant au risque de coupure d’alimentation au niveau régional et encore moins sur l’effet domino au niveau européen de sorte qu’il est difficile de comprendre les raisons qui ont poussé à écarter ce scénario. L’information du public concerté n’est donc pas complète sur ce point.

Quoi qu’il en soit, et outre le fait que le projet est un non-sens sur le plan esthétique, dans une zone aux paysages exceptionnels et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ledit projet aura nécessairement des impacts sur le milieu naturel, sur le milieu humain et sur l’économie locale, ce qui est largement omis dans le dossier de concertation et qui mérite de plus amples observations.

I. L’impact sur le milieu naturel

I.1 – La traversée par le projet de zones naturelles et protégées

A la lecture du dossier soumis à concertation, l’impact du projet sur le milieu est très largement minimisé.

Comme indiqué dans le dossier, « la Camargue est protégée à divers titres, notamment en tant que Réserve Naturelle Nationale (13 117 ha) principalement au niveau de l’étang de Vaccarès et Réserve Naturelle Nationale (1 200 ha) de Vigueirat ; une partie du territoire est protégée par le réseau Natura 2000. En outre, 193 000 ha sont classés en Réserve de biosphère et 114 000 ha de la Camargue gardoise et de l’Île de Camargue sont inscrits sur la liste des zones humides d’importance internationale de la convention de Ramsar. Les milieux les plus fragiles se situent hors de l’aire d’étude ». Mais il n’en demeure pas moins qu’aucune assurance n’est apportée sur l’absence d’impact du projet sur ces zones puisqu’il est indiqué que le tracé prendra en compte ces zones, mais cela ne dit pas de quelle manière. Il y a là un point d’interrogation qui doit être soulevé compte tenu de la particularité et de la protection du milieu concerné.

Et les mêmes questions se posent pour la Crau sèche qui est tout de même concernée par l’aide d’étude et le Parc Naturel Régional (PNR), « intercepté au niveau de la plaine de Tarascon (enjeux paysagers uniquement) et au niveau de l’extension récente du Parc jusqu’à Arles qui conforte une continuité écologique entre la Camargue et les Alpilles basée sur les zones humides ». De manière surprenante, le dossier de concertation indique, concernant le PNR, que « la détermination d’un fuseau sur ce secteur devra intégrer la sensibilité de ces milieux ainsi que la présence de la Réserve Naturelle Régionale de l’Ilon », comme s’il était acquis qu’une traversée du PNR serait autorisée. Mais rien n’est moins sûr et l’impact sur la faune et la flore locales devra être étudié, ce qui ne ressort aucunement du dossier de concertation, biaisant ainsi l’information du public concerté.

I.2 – Le défaut de prise en compte du statut particulier d’Arles, ville protégée par la Convention de Barcelone

En outre et sur le milieu toujours, le dossier de concertation est lacunaire.

En effet, si les différentes réglementations liées à l’environnement et à sa protection sont évoquées, ce qu’il omet de préciser, c’est que la ville d’Arles, concernée par le projet, est protégée au titre de la convention de Barcelone. Et cela a des conséquences sur la faisabilité même du projet.

Aux termes de l’article 8 de la Convention de Barcelone :

« Les Parties contractantes prennent toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et dans toute la mesure du possible éliminer la pollution de la zone de la mer Méditerranée et pour élaborer et mettre en œuvre des plans en vue de la réduction et de l’élimination progressive des substances d’origine tellurique qui sont toxiques, persistantes et susceptibles de bioaccumulation.

Ces mesures s’appliquent : a) à la pollution d’origine tellurique émanant de territoires des Parties et atteignant la mer (…) indirectement, par l’intermédiaire des fleuves, canaux ou autres cours d’eau, y compris des cours d’eau souterrains, ou du ruissellement ».

Sur ce point, encore faudrait-il disposer de données quant à l’impact des travaux d’implantation de l’ouvrage sur le milieu hydraulique.

Le tracé envisagé traverse, et le dossier de concertation le reconnait lui-même, des zones humides protégées au titre de la Convention de Ramsar, des zones d’agriculture biologique et de production d’appellation d’origine contrôlée, notamment des zones de production de foin de Crau et d’élevages bovins et de taureaux, pour lesquelles l’impact concret du projet est passé sous silence, notamment lors de la phase travaux.

La zone d’étude comporte également de nombreux sites naturels protégés, dont plusieurs reconnus d’intérêt communautaire par les Directives Oiseaux et Habitats, s’inscrivant dans le cadre du réseau Natura 2000.

A cela s’ajoute, au plan national, l’existence de nombreuses espèces végétales et animales protégées par la réglementation.

Le site potentiellement traversé par le projet, et notamment par la solution est également remarquable en raison de l’existence du Parc Naturel Régional de Camargue, de nombreuses zones naturelles d’intérêt faunistique et floristique, ainsi que de zones protégées en application des dispositions de la Loi Littoral (qui démontre, s’il en était besoin, la parfaite application de la Convention de Barcelone).

Par ailleurs, il n’est pas indiqué si les travaux projetés pourraient porter atteinte à la nappe phréatique de la Crau qui alimente plus de 270.000 personnes en eau potable. Pourtant la question est éminemment importante.

Le sujet est ici extrêmement sérieux en raison de la proximité de la zone de travaux envisagée avec la mer Méditerranée. Et le fait que cette contrainte soit passée sous silence ne peut qu’interpeller.

En conclusion sur l’impact sur le milieu, le dossier de concertation est incomplet puisqu’il omet de préciser et de prendre en compte le fait que la ville d’Arles est protégée par la convention de Barcelone, et qu’il ne tire aucunement les conséquences du caractère remarquable et protégé du site projeté.

II. L’impact sur le milieu humain

Le dossier de concertation indique que la présence d’un tel ouvrage électrique a « un impact sur le cadre de vie ». En réalité, c’est bien plus que cela.

D’ailleurs, il est regrettable que le dossier soumis à concertation ne soit accompagné d’aucune donnée sanitaire ou d’aucune étude quant à l’impact des lignes THT sur le milieu humain. Si le but est réellement d’informer le public, alors cette carence est ici rédhibitoire.

Il suffit de se référer aux études et publications de l’ANSES pour voir que le sujet de l’exposition aux lignes THT est un sujet de santé publique majeur, contrairement à ce qu’affirme RTE sur son propre site Internet où on peut lire : « toutes les autorités sanitaires (nationales, européennes et mondiales) s’accordent aujourd’hui sur un point : aucun effet à long terme sur la santé n’a été démontré 1 ».

De telles affirmations erronées confinent nécessairement au défaut d’information.

En effet, il ne peut pas être contredit qu’en 2002, le CIRC a classé les champs extrêmement basse fréquence, les CEM-EBF (50-60 Hz), cancérogènes possibles (groupe 2B), en raison d’observations épidémiologiques concordantes identifiant clairement l’association d’un plus grand nombre de cas de leucémies infantiles avec des champs électromagnétiques basses fréquences.

Dans ce prolongement et de son côté, en 2010, l’Anses soulignait la convergence d’études épidémiologiques qui montraient une association entre la survenue de leucémie infantile et l’exposition aux champs magnétiques basses fréquences à des niveaux supérieurs à 0,2 µT ou 0,4 µT.

En Juin 2019, l’ANSES réitérait et allait plus loin, en recommandant de ne plus implanter de nouvelles écoles à proximité des lignes à haute tension, mais pas uniquement. Pas à proximité d’hôpitaux ou de lieux avec des personnes sensibles. En effet, allant au-delà de sa réflexion de 2010, l’ANSES recommande de limiter le nombre de personnes sensibles (enfants, femmes enceintes, personnes malades…) exposées autour des lignes à haute tension.

Il suit de là que, se contenter d’indiquer dans le dossier de concertation qu’un « passage à distance des zones urbaines sera recherché car la présence d’un ouvrage électrique à très haute tension a un impact sur le cadre de vie » n’est évidemment pas suffisant et que cela est particulièrement inquiétant.

Le projet devra EVITER, sans aucune négociation possible, le milieu humain et surtout ne pourra pas passer à proximité de zones, lieux, habitations, où des personnes sensibles peuvent se situer telles que des enfants, des femmes enceintes, des personnes malades, des personnes hospitalisées… Cela rend le projet quasi impossible à mettre en œuvre.

En effet, RTE pointe bien l’infaisabilité du projet sur ce point en indiquant dans le dossier de concertation « La principale difficulté provient de l’importance du bâti dispersé omniprésent entre Arles et Saint-Martin-de Crau et dans la vallée du Rhône, notamment côté Gard. Par ailleurs, outre l’urbanisation existante, les zones d’urbanisation future (habitat et activités) sont à prendre en compte au regard de la construction d’une ligne électrique ».

A défaut de certitudes quant à l’absence de personnes sensibles dans ces dites zones, alors aucune installation ne sera possible.

En conclusion sur ce point, RTE a parfaitement conscience du fait que sur ce secteur, éviter le milieu humain d’aujourd’hui et de demain est tout simplement impossible. Mais il ne peut, sur ce point, y avoir de négociations avec un tel sujet de santé publique.

 

III. L’impact sur les activités économiques locales

Le tracé projeté (les deux versions) traverse de nombreuses zones protégées et notamment des appellations d’origine protégée (AOP) et des appellations d’origine contrôlée (AOC).

Certaines sont citées dans le dossier de concertation, mais d’autres sont oubliées.

Par exemple, sur le territoire de la commune d’Arles, concernée par les deux tracés projetés, l’AOP des baux de Provence est implantée et depuis 1997, trois produits bénéficient de l’AOP Les Baux-de-Provence :

  • l’huile d’olive, comprenant deux familles (“fruité vert” et “olives maturées”),

  • les olives noires,
  • et les olives cassées.

Pour ce qui concerne les vins, activité agricole et économique forte localement, l’appellation d’origine contrôlée Costières de Nîmes est directement impactée par le projet de RTE qui ne manque pas de le souligner dans le dossier soumis à concertation mais qui n’en tire aucune conséquence. Et aucune précision n’est apportée sur l’impact du projet sur les vignobles concernés, notamment en phase travaux mais également en phase exploitation (et notamment si des interventions sont nécessaires). L’AOC en question doit répondre à un cahier des charges précis et le dossier soumis à concertation ne dit pas si le projet est bien compatible avec ce cahier des charges.

En réalité, le plus déconcertant, est que le dossier de concertation reconnait lui-même l’impact sur l’agriculture et les appellations locales : « la gêne résulte de la phase de travaux, puis en phase d’exploitation, des pylônes en eux-mêmes (emprise au sol). L’aire d’étude se caractérise par des pratiques culturales spécifiques qui présentent une sensibilité forte du fait de la présence de cultures pérennes (vigne, arboriculture), des cultures inhérentes à la région (riziculture, taureaux, foin) et/ou ayant fait l’objet d’importants investissements (serres, irrigation, haies coupe-vent) ».

Mais pour autant, RTE n’en tire aucune conséquence. Or, il est bien évident que le projet de ligne THT soumis à concertation ne pourra pas être mis en œuvre dans ces conditions.

De plus, certes, il y a là une sensibilité forte des pratiques culturales locales et spécifiques, mais il y a surtout un réel enjeu économique pour les agriculteurs et exploitants concernés, et pour les deux régions : PACA et Occitanie.

En effet, ces spécificités sont également un vecteur touristique très fort, que ce soit dans les Bouches-du-Rhône ou dans le Gard.

Les enjeux économiques sont donc nombreux et certains mais le dossier de concertation n’en fait pas état et RTE n’a absolument pas pris en compte cette dimension dans le montage de son projet.

En conclusion sur les aspects agricoles et économiques, RTE reconnait bien l’impact du projet mais n’apporte aucune solution pour y remédier. Dans ces conditions, le projet doit tout simplement être abandonné.

Conclusion générale

En conclusion générale, l’aspect sanitaire de l’impact du projet sur le milieu humain est tout à fait sous-dimensionné. Il ne peut pas raisonnablement être considéré que la population a ici été informée des risques du projet et il ne peut qu’être regretté que les données de l’Anses sur les lignes THT et leur impact sanitaire n’aient pas été communiquées.

Par ailleurs, les impacts sur l’agriculture et sur le milieu naturel sont certains et relevés par le dossier de concertation lui-même qui n’en tire pour autant aucune conséquence.

Enfin ce projet fait peser sur le departement du Gard et la région Occitanie (surtout l’hypothèse Ouest) que des externalités négatives (sur les AOC et les paysages notamment) puisque la production d’électricité est justifiée par les besoins de la Région PACA.

Le projet présenté est un projet pharamineux de plus de 300 millions d’euros mais le dossier soumis à concertation et le montage du projet ne sont aucunement a la hauteur de l’enjeu.