À Arles, le projet d’autoroute n’en finit pas de semer la discorde

ENQUÊTE – Dessiné dès 1996, arrêté en 2005, le fuseau autoroutier qui doit soulager les habitants de la capitale camarguaise des nuisances de la route nationale 113 semblait oublié. Une concertation tout juste achevée relance le débat.

Par Guillaume Mollaret

C’est un trou de verdure où chante une rizière. Et peut-être bientôt… une autoroute.Congestionnée par les bouchons, la 2×2 voies de 27 kilomètres reliant l’échangeur A54 de Saint-Martin-de-Crau à celui d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône, pourrit le quotidien des riverains par le bruit et la pollution qu’elle génère. Aussi, un projet de contournement autoroutier de la capitale camarguaise promet de réduire ces nuisances. Une concertation, dans l’attente d’une enquête publique, vient de s’achever… non sans réveiller de vieilles polémiques quant à la préservation de l’environnement et des terres agricoles menacées par le projet de fuseau autoroutier. 

Empruntée quotidiennement par 75.000 à 80.000 véhicules, dont de nombreux camions en provenance et à destination du port de Marseille, cette portion de la route nationale 113 est aussi très accidentogène. On y recense environ 200 carambolages par an, ce qui entraîne parfois la fermeture de cet axe au grand dam des hameaux voisins où la circulation se déverse par conséquence. «On ne peut être que favorable au contournement. Personne ne sait pourquoi il n’a pas été réalisé à l’origine. La route telle que nous la connaissons aujourd’hui est une aberration des années 1970» , estime Patrick de Carolis, maire sans étiquette d’Arles, élu en 2020. 

Depuis un demi-siècle, Arles est jouxtée d’une autoroute qui n’en porte pas le nom. Cette portion de macadam sans péage – ce qui ne déplaît à personne – dévisage le riche patrimoine antique de la cité. Ainsi, le pont qui enjambe le Rhône à proximité immédiate du centre-ville défigure les vestiges du cirque romain. «Les aménagements routiers actuels nous empêchent de mettre ce patrimoine en valeur. Arles possède huit monuments classés à l’Unesco. Cette portion de RN 113, je la vis comme une insulte à ces trésors universels» , poursuit Patrick de Carolis, ancien président de France Télévisions et créateur de l’émission Des racines et des ailes (France 3).

Des espaces naturels et agricoles rares

Présenté ainsi, le contournement autoroutier d’Arles ne fait pas débat. C’est plus précisément le tracé choisi par les services de l’État qui fait polémique. La future route devra traverser des espaces naturels et agricoles rares: la Crau humide et la Camargue, vantée dans les cartes postales comme une terre de liberté. Ces oppositions sont aussi vieilles que le projet routier dont le tracé, dessiné dès 1996, a été arrêté en 2005. Depuis, l’opposition s’était mise en sourdine car l’idée même de S’INSCRIRE contournement semblait perdue quelque part dans les bureaux du ministère desTransports. Mais la concertation préalable à l’enquête publique, qui vient de s’achever, a réveillé des tensions enfouies. 

Zones humides et protégées Natura 2000, réserve de biosphère, zone inondable, la Camargue et la Crau, qui abritent aussi des parcs naturels régionaux, opposent une forteresse riche d’une dizaine de réglementations à qui veut s’y attaquer. «Il y en a exactement 17. Je les connais par coeur» , lance, avec un brin de provocation, Bertrand Mazel, le président du syndicat des riziculteurs de France. Pas opposé au principe d’un contournement, cet élu à la Chambre d’agriculture ne peut se résoudre à la destruction de terres agricoles. Selon différents calculs, la nouvelle autoroute pourrait détruire entre 120 et 200 hectares de rizières, de maraîchages et de foin de Crau, la seule AOP d’un produit agricole non destiné à l’alimentation humaine. 

Aussi domestiquée que sauvage, la Camargue ne se laisse pas facilement apprivoiser . Arles, sa capitale, est la plus grande commune de France métropolitaine par la superficie. Les rues du centre-ville y sont parfois aussi étroites que les espaces sont aérés en périphérie. Dans cette cité romaine, le sentiment identitaire est très fort. Et les quartiers sont autant de villages d’Astérix. On est de Mas Thibert, de Barriol, de la Roquette, ou de Trinquetaille avant d’être Arlésien. Pour autant, chacun est prêt à poser un mouchoir sur les dissensions pour faire cause commune… dans un clan comme dans l’autre!

Je croyais que ce gouvernement faisait une priorité de la lutte contre l’artificialisation des sols. Et là, on vient encore prendre terres agricoles

Dans le camp des «pour», Patrick de Carolis est sur la même ligne que la députée LREM Monica Michel, son adversaire lors des dernières élections municipales. Dans le camp des «contre», un collectif composé d’une vingtaine d’associations fait front, malgré des divergences parfois profondes sur d’autres sujets ayant trait à la préservation de la Camargue et de la Crau. Ainsi les agriculteurs se retrouvent à la même table que des écologistes qui les assignent régulièrement devant les tribunaux.On retrouve également des propriétaires terriens directement impactés, des chefs d’entreprise, et même une ministre de la Culture, Françoise Nyssen , qui officia rue de Valois entre 2017 et 2018. «On nous propose une route avec des réponses d’une autre époque. On ne se projette absolument pas dans la transition écologique et le fait que le nombre de véhicules en circulation doit baisser» , dénonce-t-elle. Et son époux, l’éditeur d’Actes Sud Jean-Paul Capitani de renchérir: «Ce projet, c’est Notre-Dame-des-Landes. On ne fait pas aujourd’hui un programme comme on les envisageait il y a cinquante ans. Il n’est plus en phase avec les attentes de la société. Le projet doit être recalculé

Dénonçant, avec sa collègue Corinne Dub, la construction d’un «nouvel aspirateur à camions» , la vice-présidente de l’association Arles Camargue Environnement & Nature (Acen), Marie-Hélène Bousquet-Fabre, émet l’idée d’aménager l’existant: «On pourrait déjà mettre du bitume silencieux sur la RN 113 et contraindre les camions, sauf desserte locale, à ne pas quitter l’autoroute en les faisant obligatoirement passer par l’A7 à Orange, plus au nord» , avancent-elles. Mais il n’est pas sûr que les transporteurs soient séduits par cette alternative qui allonge de près d’une heure le trajet pour un poids lourd en direction de l’Espagne.

Consciente qu’une opposition radicale au contournement est vouée à l’échec, l’Acen et ses partenaires demandent à l’État un tracé moins impactant pour l’environnement. Ils le somment de remettre sur la table une variante de fuseau proposé à l’origine, lequel prévoyait notamment la construction d’un tunnel sous-fluvial. «C’est plus coûteux? Et alors?» interroge Bertrand Mazel. «Je croyais que ce gouvernement faisait une priorité de la lutte contre l’artificialisation des sols. Et là, on vient encore prendre terres agricoles» . En France, selon le ministère de l’Écologie, qui affiche une ambition de «zéro artificialisation nette» , 3,5 millions d’hectares sont aujourd’hui artificialisés «soit 6,4 % du territoire. Ramené à la population, c’est 15 % de plus qu’en Allemagne et 57 % de plus qu’au Royaume-Uni ou en Espagne» , écrit-il. «Avec environ 15 % de surfaces artificialisées, soit près de trois fois plus que la moyenne nationale, les Bouches-du-Rhône figurent parmi les départements les plus artificialisés de France. Ce projet n’est pas respectueux des engagements de laFrance en matière de climat, de rejet de gaz à effet de serre et d’artificialisation des sols » , relève pour sa part Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat, un centre de recherche sur les zones humides basé à Arles. «Le territoire concerné par ce projet est l’un des espaces les plus riches et diversifiés en matière de biodiversité. Il va mordre sur des marais tourbés qui sont les seuls existants sur la façade méditerranéenne. C’est une perte qui ne sera pas compensable» , renchérit-il.

Préserver l’espèce humaine

Contempteur du tracé, le sénateur des Bouches-du-Rhône Guy Bennarroche (EELV) relève également que «le projet a déjà déclassé une partie du Parc naturel régional de Camargue» … Ces accusations font bondir dans les comités de quartiers d’Arles, unanimement favorables au contournement. «Nous sommes très attachés à la nature et sa sauvegarde mais avant de se préoccuper des grenouilles du Vigueirat et du criquet de la Crau, il faudrait aussi penser à la préservation de l’espèce humaine. Nous sommes 8000 riverains à être impactés au quotidien par la pollution de la RN113» , s’agace Robert Rocchi, président du comité de quartier de Pont-de-Crau, qui demande la mise en route «la plus rapide possible» du chantier.

Du côté de l’État, la secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, assure, dans une question au gouvernement, que «depuis deux ans, l’État a engagé la remise à niveau des analyses qui avaient conduit à retenir en 2005 (ce) fuseau (…) S’agissant des impacts environnementaux de l’opération, les études menées jusqu’ici ont permis de suivre la démarche nécessaire visant à éviter, réduire et, au besoin, compenser toute incidence sur l’environnement, afin de préserver la richesse de la biodiversité.»

 

«Ma position sur le choix de ce tracé n’en est pas vraiment une… Je ne suis pas ingénieur. Ce que je crois, c’est qu’il n’y a de toute façon pas de bonne solution. Juste une moins mauvaise» , convient Patrick de Carolis qui aimerait, une fois le contournement achevé, requalifier la portion occupée par la RN 113 en boulevard urbain intégrant notamment des mobilités douces. Parallèlement, la communauté d’agglomération qu’il préside travaille sur des projets pour développer le report modal de la route vers le chemin de fer et le transport fluvial. Des projets qui, s’ils doivent effectivement émerger, mettront, à l’instar du contournement autoroutier, au moins dix ans avant de voir le jour. De là à parler d’Arlésiennes…

Les parutions 2022

Le schéma du tracé du contournement autoroutier, au sud d’Arles : une arlésienne de plus en plus réelle.

Article publié par Blast le 12/02/2024 L’Arlésienne d’une nouvelle autoroute en Camargue, vieille de trois décennies, n’a jamais semblé si près de se réaliser. Soutenu par Patrick de Carolis, maire (Horizon) d’Arles, poussé par le port de Marseille, le projet inquiète les agriculteurs, les riverains et les associations, qui craignent un drame environnemental. Mais ils ont peu d’espoir que le gouvernement fasse machine arrière. L’article en ligne

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Polémique autour d’un projet de contournement autoroutier en Camargue

Envisagée depuis les années 1990, cette infrastructure longue d’une trentaine de kilomètres va border la lisière du parc naturel régional. L’enquête publique doit être lancée d’ici à la fin de l’année. Les riverains, écologistes et agriculteurs envisagent un recours en justice.

Les riverains et associations de protection de l’environnement et du patrimoine de Camargue pensent tenir l’occasion de retarder le projet de contournement autoroutier d’ Arles envisagé par le gouvernement.

Lors d’une des concertations publiques de ce tracé organisée par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) en janvier, des habitants ont pointé dans la présentation une erreur de plan susceptible de constituer une « tromperie manifeste du public », selon la responsable de l’Association Camargue environnement (Acen), Marie-Hélène Fabre. Elle a donc demandé l’organisation d’une nouvelle concertation, une requête restée lettre morte, et envisage désormais de porter l’affaire en justice.

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En visite à Arles le ministre des transports Jean Baptiste DJEBBARI prône le consensus sur le projet de contournement autoroutier….

Contournement autoroutier : « Forger les consensus locaux » Difficile de ne pas évoquer le sujet du contournement autoroutier d’Arles quand le ministre délégué aux Transports débarque en ville. « J’en ai parlé avec le maire« , a d’ailleurs confié le membre du gouvernement. Il l’a fait aussi. brièvement et sans trop se mouiller avec La Provence, juste avant de repartir pour Marseille. « Pour nous, le vrai sujet, c’est de forcer les consensus locaux, a indiqué Jean-Baptiste Djebbari. Et bien souvent, les projets routiers et autoroutiers peuvent être vus préalablement comme des projets qui sont contraires à l’ambition environnementale. Mais nous l’avons vu sur un certain nombre de sujets, laissons s’établir les consensus locaux. D’abord pour développer ces infrastructures de manière beaucoup plus vertueuses qu’avant, et on a des entreprises qui sont parfaitement qualifiées pour le faire. Et pour continuer à avoir des politiques d’attractivité des territoires, c’est important. Pour cela, il y a des débats publics, des enquêtes publiques, qui visent à forger le consensus démocratique, et c’est dans ce cadre-là que je me situe.« 

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